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Le blog de la Fée Myrtille
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1 mai 2010

La langue française au service du féminisme

EcritureDans le cadre de son cycle de conférences intitulé «Quarante ans de recherches sur les femmes, le sexe et le genre», l'Institut Emilie du Châtelet proposait, samedi 17 avril, de découvrir le travail d'Anne-Marie Houdebine, professeure de linguistique et de sémiologie à l'Université René Descartes-Paris V.

Lors d'une précédente conférence, j'avais adoré écouter Françoise Héritier présenter son point de vue d'ethnologue sur la place des femmes dans la famille et c'était tout aussi passionnant de suivre l'intervention d'Anne-Marie Houdebine qui avait choisi de nous présenter les différenciations sexuelles dans les langues ainsi que l'identification sociale des femmes dans la langue française. Si seulement j'avais eu un cours pareil pendant mes études de Lettres, j'aurais ouvert les yeux bien plus tôt sur la condition féminine. Enfin, mieux vaut tard que jamais ;-)

La première partie de la conférence a été consacrée au traitement des genres dans différentes langues. L'objectif était de nous montrer qu'il existe de nombreuses façon de représenter le féminin et le masculin via le langage. Le Français par exemple ne possède que deux genres, masculin et féminin. Anne-Marie Houdebine a bien insisté sur le fait qu'il n'y avait pas de neutre en Français, le masculin servant pour désigner l'ensemble des deux sexes. Certaines langues possèdent un genre féminin, un genre masculin et un genre neutre.  Il existe des langues où le "je" peut être masculin ou féminin alors qu'il est indéterminé en Français. Autre exemple, "merci" en Portugais se dit "obrigado" quand on est un homme et "obrigada" quand on est une femme. Autant de langues, autant de façons de parler du féminin et de le représenter.

Parfois, ce n'est pas la langue qui véhicule le sexisme mais notre discours, notre imaginaire. Ainsi, les grossièretés qui sont pourtant des mots a priori utilisables  par les homme et les femmes, sont  souvent perçues comme étant interdites aux femmes (D'après les recherches d'Anne-Marie Houdebine, c'est le mot "enculé" qui provoque le plus de réactions négatives quand il est prononcé par une femme).

Après quelques informations sur les modalités discursives, la conférencière nous a présenté la manière dont les femmes sont représentées dans la langue française. Elle a d'abord constaté que les femmes étant réduites à leur statut sexuel, la langue avait été construite sur ce modèle. Ainsi, le mot "veuve" a été créé avant le mot "veuf", "pucelle" avant "puceau". Aujourd'hui encore cette tendance à réduire la femme à son statut sexuel perdure puisque le Français a conservé les mots "madame" et "mademoiselle" pour désigner une femme, alors que nous n'utilisons plus que le mot "monsieur" pour désigner un homme. La langue transmet aussi des représentations inégalitaires comme avec les mots "gars" et "garce" qui étaient à l'origine les déclinaisons féminine et masculine d'un même mot mais qui ont pris au fil du temps des connotations très différentes. Idem pour "salope" et "salaud", ce dernier s'étant offert, en prime, une nouvelle orthographe pour mieux se différencier.

La conférence s'est achevée sur la féminisation des noms de métier qui n'a pas été une mince affaire comme nous l'a expliqué Anne-Marie Houdebine qui fut choisie par Yvette Roudy en 1984 pour participer à la commission de féminisation. A l'époque, la France était très en retard par rapport à la Belgique et au Québec qui avaient déjà fait ce travail de féminisation des noms de métier. Malgré cela, les membres de l'Académie française ont réagi très violemment contre ce qu'ils considéraient comme une atteinte à la langue française. D'après  Anne-Marie Houdebine, cette violence montre l'importance de la langue. Ce qui n'est au départ qu'une question de vocabulaire semble toucher alors à quelque chose de plus profond, de plus intime.

Malgré ces attaques virulentes, le travail de la commission a donné naissance à la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. Elle n'était alors qu'une simple proposition. Il faudra attendre 1998 pour que son application devienne obligatoire lors de la rédaction de textes officiels.

Pour conclure, Anne-Marie Houdebine s'est interrogée sur la meilleure façon d'éviter les stéréotypes liés au langage. Sa réponse est à méditer: «Il faut être responsable de sa parole comme de ses actes». Ceci est valable pour lutter contre le sexisme mais également pour éviter de véhiculer ce qu'elle appelle des «perversités langagières» comme par exemple l'expression «maladie de la vache folle» (les vaches ne sont pas devenues folles, c'est nous qui les avons rendues malades).


BONUS

Voici quelques suggestions données par Anne-Marie Houdebine pour parler d'une assemblée constituée des deux sexes: la duplication (ex: «les étudiantes et les étudiants qui suivent mon cours»), les tirets ou les slashs (ex: les étudiant-es qui suivent mon cours), le détournement (ex: «les personnes qui suivent mon cours») et enfin, ma préférée, la provocation en utilisant le féminin au lieu du masculin (ex: «les étudiantes qui suivent mon cours»).

Quelques liens pour aller plus loin:

« Sur la féminisation des noms de métiers en France », Anne-Marie Houdebine, Recherches féministes, vol. 5, n° 1, 1992, p. 153-159.

Rapport sur la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre (1998).

Prochaine conférence de l'Institut Emilie du Châtelet, samedi 15 mai avec Yasmine Ergas, sociologue, avocate et professeure de droit international.


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Commentaires
H
J'oubliais : ta conférencière a raison pour les vaches soit-disant "folles" : c'est un abus de langage et une façon de se défausser sur elles de notre propre folie. C'est choquant et assez scandaleux comme procédé.
H
Féminiser les substantifs et leurs adjectifs en prenant soin d'ajouter -e ou -ées, pour féminiser un masculin est lourd et long à taper sur un clavier ! Je le fais pour des raisons d'égalité donc je sais. Pour éviter cet inconvénient, il suffit d'écrire au « féminin neutre » autrement dit au « féminin l'emporte ».La langue appartient à sa locutrice, elle en fait ce qu'elle veut ; la seule contrainte, puisqu'une langue sert à communiquer entre les unes et les autres, c'est lorsque qu'on ne se comprend plus ! Mais dans le cas du féminin neutre, aucune règle de structure grammaticale ou de conjugaison n'est transgressée, la communication se fait parfaitement : tu es comprise. Tu risques juste de te faire corriger par un aigri pour avoir fait du féminin un universel, mais ça ce n'est pas grave, tu as des arguments et du répondant !<br /> Commentaire écrit au féminin neutre.
L
Merci pour cet article extremement enrichissant ...<br /> Lors de mon mémoire sur l'égalité femmes hommes au travail que j'ai fait en 2003, j'utilisais déjà les tirets (les étudiant-es) car je n'aime pas mettre une ou plusieurs femmes entre parentheses ... ca fait laissé à l'abandon ...<br /> <br /> et ne pas oublier que dans l'alphabet comme le F est avant le H on doit dire les femmes et les hommes et non les hommes et les femmes ;)
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