L'ère du postféminisme
L'ère du postféminisme, c'est le titre choisi par la revue Sciences Humaines pour son dossier du mois. Je ne connaissais pas cette revue mais quand je suis tombée sur sa couverture au détour d'une allée de médiathèque, je n'ai pas pu résister au plaisir de découvrir le postféminisme.
Je dois avouer que ce titre m'a beaucoup intriguée tout simplement parce que je n'avais encore jamais entendu parler de postféminisme. La définition donnée par la revue en question m'a tellement surprise que j'ai fait quelques recherches sur le sujet. J'ai alors découvert que le postféminisme regroupait des courants qui se différenciaient du féminisme des années 70 en réfutant la seule domination masculine dans les rapports hommes/femmes et en préférant élargir l'étude des rapports humains notamment en étudiant les notions de sexe et de genre (ex: Judith Butler).
En lisant la revue Sciences Humaines, j'ai plutôt eu l'impression qu'ils parlaient de postféminisme comme si le féminisme n'existait plus et que nous en étions déjà à l'heure du bilan. Soupçons confirmés par les premières lignes d'un des articles du dossier: «Profitant des combats féministes de leurs mères, plus éduquées, libérées du stigmate de l’infériorité féminine, les nouvelles générations revendiquent leur liberté tout en affichant leur féminité. Sommes-nous entrés dans l'ère postféministe ?» Réjouissez-vous mes soeurs et mes frères, nous sommes à deux doigts d'entrer dans une nouvelle ère, sans féminisme et pleine d'égalité entre les sexes! Vous n'aviez pas remarqué? Heureusement Sciences Humaines est là pour vous ouvrir les yeux et pour définir cette nouvelle ère qui paraît si complexe: «Elles sont avocates, vétérinaires, chercheuses, politiques ; mais aussi "Pintades", phallic girls, mères écolos ou féministes voilées… Comment définir l’ère du postféminisme face à la diversité des modèles féminins contemporains ?».
Heu... comment dire?... mais où sont-ils allés chercher tout ça?! Lire ce genre de phrases dans Elle ou Biba, ça ne m'étonne plus mais dans une revue qui s'intitule Sciences Humaines et dont l'éditeur déclare proposer «des ouvrages exigeants et rigoureux» , je n'en reviens pas! Cela n'a rien de scientifique, c'est tout simplement racoleur. Donc au menu du postféminisme, nous avons:
des «pintades» parce que les potiches ça fait toujours bien dans le décor
des «phallic girls» parce qu'un soupçon de sexe c'est toujours vendeur
des «mères écolo» parce qu'en 2 mots on surfe sur la tendance écolo et sur la notoriété d'Elisabeth Badinter
des «féministes voilées» parce que polémiquer sur le voile c'est top tendance.
Dans ce magnifique dossier, il y a également une pleine page consacrée à Susan Pinker qui n'est autre que la version féminine de John Gray, auteur du livre «Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus». Je ne suis absolument pas d'accord avec cette dame qui soutient qu'une femme préfère par nature refuser une promotion pour rester à la maison, mais tous les points de vue doivent être exposés quand on choisit de présenter le postféminisme dans son ensemble. Le problème c'est que, visiblement, chez Sciences Humaines on a un parti pris journalistique. Si Susan Pinker a eu droit à une page entière, en revanche Judith Butler n'a eu droit qu'à quelques lignes tellement bien rédigées qu'elles donnent l'impression que la philosophe a travaillé sur la notion de genre et inventé les Dragqueens!
Je n'étais pas au bout de mes surprises. J'ai ensuite appris que les femmes étaient «libérées du stigmate de l’infériorité féminine», qu'on pouvait être féministe et voilée, que si les femmes faisaient autant de corvées ménagères c'est parce qu'elles le voulaient bien, etc.
J'ai finalement abandonné ma lecture en voyant l'article sur les femmes cougars, illustré par une photo de Demi Moore. C'était trop pour moi, j'avais l'impression de lire Voici.
Tout
un dossier consacré au féminisme dans une revue a
priori
sérieuse et c'est un coup porté à l'égalité femmes/hommes ainsi
qu'aux combats féministes. Chers journalistes de Sciences Humaines,
ce n'est pas en prenant comme argument le succès des séries
Desperate
Housewives,
Ally
McBeal
ou Sex
in the City
que vous allez nous convaincre que nous ne subissons aucune
humiliation, aucune discrimination ni aucune violence en raison de
notre sexe. Il existe encore de nombreux combats à mener pour que
les femmes soient enfin respectées et votre dossier ne nous y aide
pas.